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TOGO/Grand reportage - ''La Conscience a Quitté le CHU Sylvanus Olympio''

Le système de santé togolais est en proie à une crise profonde et persistante, se traduisant par un taux de mortalité hospitalière élevé. Les hôpitaux publics, autrefois symboles de soins de qualité, sont devenus des emblèmes de dysfonctionnements et de corruption. Les témoignages poignants des patients et des professionnels de la santé révèlent une réalité alarmante dans ces hôpitaux. Cet article, qui met le focus sur le cas du CHU Sylvanus Olympio de Lomé, explore les causes et les conséquences de cette situation, en s'appuyant sur des témoignages et des données statistiques, et propose des pistes de réflexion pour une réforme urgente.

La situation sanitaire du Togo est extrêmement précaire, marquée par des décès fréquents en milieu hospitalier, particulièrement dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité hospitalier s'élève à 6 % au Togo, selon les données 2008 du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Ce chiffre, bien supérieur à la moyenne mondiale, reflète les graves dysfonctionnements dans la gestion des formations sanitaires du pays. Le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Sylvanus Olympio de Lomé, autrefois une référence nationale, est aujourd'hui au cœur de toutes les critiques et indignations. Ce centre est confronté à de graves problèmes d'équipements, d'infrastructures et de ressources humaines, illustrant les défis colossaux auxquels le secteur de la santé togolais est confronté depuis plusieurs décennies.

Un hôpital de Référence en Délabrement

Le fonctionnement du CHU Sylvanus Olympio est sérieusement entravé par des problèmes structurels majeurs. Le sous-financement chronique du secteur de la santé en est l'une des causes. La part de la santé dans le budget de l’État était inférieur à 8 % avant 2017. Le ministre en charge de la Santé de l'époque, Professeur Moustapha Midjiyawa, avait confirmé une légère augmentation dans la loi de finance 2017, portant ce budget à 10 %.

« Le budget de la santé l'année dernière est de 7,8 %. Et ce chiffre a été revu seulement il y a quelques jours lorsque nous avons présenté en conseil des ministres, le Plan de Développement Sanitaire 2017-2022. Et ce qui est mentionné dans ce plan, par exemple pour 2017, c'est 112 milliards de F CFA (203 636 364 dollars us), ce qui nous ramène à 10 % du budget de l’État. », a précisé le ministre.

Cependant, bien qu’elle soit appréciable, cette augmentation ne permet pas de répondre de manière durable aux défis auxquels est confronté ce secteur, notamment en termes d'équipements, d'infrastructures et de ressources humaines. Professeur David Dosseh, médecin chirurgien au CHU Sylvanus Olympio et membre du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers du Togo (SYNPHOT), dénonce des carences chroniques : «Aujourd'hui, on observe une véritable déliquescence de ce système de santé, avec des équipements insuffisants, des infrastructures ne répondant pas aux normes, un personnel insuffisant en qualité et en quantité, et une allocation budgétaire ne répondant pas véritablement aux besoins de ce secteur. Il est donc compréhensible que ce système de santé soit dans l'état que nous connaissons. », a-t-il déclaré.

Images d'une salle d'hospitalisation et de matériels de soin du CHU S.O

Pendant près de dix ans, l'absence de scanner au CHU Sylvanus Olympio de Lomé a impacté la prise en charge des patients nécessitant cet examen essentiel. Ces derniers étaient contraints de se tourner vers des cliniques privées pour des services d’imagerie, souvent à des prix prohibitifs. Le scanner du CHU Campus de Lomé (seul hôpital public à en disposer), souffrait de graves défaillances techniques, rendant ses diagnostics peu fiables, tout en demeurant la solution la plus accessible pour les familles à faibles revenus. Les résidents des localités de l'intérieur du pays parcouraient parfois des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour accéder à ce service. Certains patients, faute de moyens, optaient pour des soins au Ghana, où les coûts étaient plus abordables. En outre, les transferts entre le CHU Sylvanus Olympio et les centres externes d’imagerie mettaient parfois en danger la santé des patients, surtout pour les cas graves. La dotation des hôpitaux publics en scanners a été une revendication récurrente des syndicats de la santé durant ces années.

Manifestation des agents de santé du CHU S.O réclamant plus de protection contre Covid-19

Ce n'est qu'en juillet 2023, que le CHU Sylvanus Olympio a enfin été équipé d’un scanner moderne de 64 barrettes, grâce à un partenariat public-privé.

En plus de ses difficultés financières et structurelles, le CHU Sylvanus Olympio fait face à de sévères critiques concernant les comportements inappropriés de certains soignants. Des accusations de corruption, de racket, de vol, de mauvais accueil et de nonchalance flagrante ont été signalées, sapant la confiance des patients. Le ministre Midjiyawa avait officiellement reconnu, lors d'une rencontre avec les partenaires techniques et financiers, l'existence de pratiques inhospitalières dans l'ensemble des centres de santé publique du Togo.

« Tout le monde reconnaît qu'il y a des pratiques inhospitalières dans nos hôpitaux », a-t-il révélé, avant de détailler les pratiques courantes.

« C’est-à-dire que, lorsque vous prenez les laboratoires, les réactifs sont épuisés au bout de quelques dizaines de malades, parce que l'on arrive avec des prélèvements effectués ailleurs dans des entités étrangères à l'hôpital et avec des résultats reportés de l'autre côté. Il n'est pas rare que, quand vous allez à la morgue, qu’on vous dise monsieur, il n'y a pas de place, vous donnez de l'argent, vous avez de la place. On vous dit également, sur cinq appareils de radios, il n'y en a qu'un qui marche. Mais le seul qui marche, lorsque son compteur marque 50 films, le registre marque 10. Et il n'est pas rare de se trouver devant le fait que, on a couvert les 25 lits d'un pavillon avec des draps de couleur blanche avec écriture bleue ‘’CHU Sylvanus Olympio’’, et qu'on se retrouve le lendemain avec 10, et le surlendemain avec des draps dans la même configuration vendus à Assigamè (grand marché de Lomé). Vous prenez une région sanitaire, on vous dira monsieur, nous n'avons qu'une seule ambulance. On devrait en avoir tant, selon les normes OMS, mais la seule qui marche transporte du maïs, du charbon, voire du bétail. », a décrit le ministre.

La vente illicite de produits médicaux au sein du CHU Sylvanus Olympio met en lumière les pratiques de corruption qui minent le système de santé togolais. Selon des témoignages, certains agents de santé détournent du matériel et des médicaments qu'ils revendent ensuite aux patients. D’où proviennent ces articles ? Nos investigations révèlent deux principales sources : soit ces agents subtilisent des produits aux patients durant leur hospitalisation, soit ils revendent des échantillons de médicaments portant la mention « À ne pas vendre », fournis par les délégués médicaux. Pour en tirer profit, les agents véreux prescrivent délibérément ces médicaments, sachant que les patients ne les trouveront pas en pharmacie. Confrontés à des recherches infructueuses, ces derniers finissent par se tourner vers les mêmes agents pour se procurer ces échantillons.

Ces pratiques illégales sont facilitées par l'absence de contrôles rigoureux et de sanctions dissuasives. Toutefois, malgré ce laxisme, plusieurs agents indélicats ont été démasqués. Le 19 mai 2017, un chauffeur a été appréhendé et sanctionné pour avoir volé un lit et un matelas du service de rhumatologie. Trois ans auparavant, un moniteur avait disparu de la salle de réanimation, entraînant l'interpellation de cinq suspects. Ces incidents, parmi tant d'autres, renforcent le climat de méfiance des patients et des partenaires financiers à l'égard de cet établissement. Aucun service de l'hôpital n'est épargné par ces dérives, mais les critiques les plus sévères visent le service de maternité.

La Maternité : Un Service en Détresse

L'ombre d'une mauvaise réputation plane sur le service de maternité du CHU Sylvanus Olympio. Avec un bâtiment mal entretenu, des équipements insuffisants et défectueux, des salles souvent surpeuplées et des conditions d'hygiène déplorables, ce service censé donner la vie met quotidiennement des vies en danger, notamment celles des mères et des nouveau-nés. Les pénuries fréquentes de matériel médical de base, telles que les lits, compliquent encore davantage la prise en charge des patientes.

 L'allée du service de maternité du CHU Sylvanus Olympio de Lomé

Ce contexte est aggravé par la faible qualité des ressources humaines. Les témoignages de femmes enceintes sont unanimes : le parcours à la maternité du CHU Sylvanus Olympio est comparable à un enfer. Au-delà des douleurs physiques, elles doivent faire face à l'incompétence et à l'indifférence de certains soignants.. Des gestes brusques, des paroles blessantes, des délais d'attente interminable, elles endurent des situations inimaginables. Les récits de ces femmes, livrées à elles-mêmes dans leurs moments les plus vulnérables, sont glaçants. Ces pratiques inadmissibles mettent en péril la santé mentale et physique des futures mères et portent atteinte à l'image de la profession de sage-femme.

L'histoire de Mounifa, qui a failli perdre la vie ainsi que son bébé lors de son troisième accouchement dans ce service, en est une parfaite illustration. Malgré le traumatisme subi lors de son précédent accouchement par césarienne dans ce centre, cette jeune maman de 28 ans a été contrainte d’y retourner. En effet, selon la réglementation en vigueur, l'établissement qui a réalisé la césarienne est responsable du suivi des grossesses ultérieures de la patiente. Le personnel de l'hôpital périphérique où Mounifa avait commencé ses consultations prénatales, a donc préféré la transférer au CHU Sylvanus Olympio dès son premier rendez-vous, estimant que cet hôpital lui offrirait une prise en charge adéquate. Mounifa s'est ainsi retrouvée piégée dans un système défaillant, qui allait lui faire vivre un véritable cauchemar.

«Le jour de mon accouchement a été le pire de ma vie », s'est-elle indignée en décrivant la scène effroyable qu'elle et sa fille avaient vécue.

« Mon mari m'a conduite au CHU Sylvanus Olympio vers 5 heures du matin, lorsque j'ai commencé à ressentir des contractions. Après qu'une sage-femme m'ait attribué un lit, j'ai été laissée à moi-même. Personne ne s'occupait de moi, c'était un véritable chaos ce jour-là. J'ai observé un manque total de coordination entre les soignants. Les trois sages-femmes qui m'ont successivement approchée se sont contentées de prendre ma température, puis sont reparties, chacune ignorant visiblement le passage de l'autre. Vers 10 heures, lorsque la douleur est devenue insupportable, j'ai crié en vain pour demander de l'aide, mais aucun membre du personnel ne s'est soucié de moi, et j'ai fini par accoucher sans assistance. Si je n'avais pas réagi rapidement, la tête de mon bébé allait heurter le sol, car j'étais en position accroupie. J'ai juste eu le temps d'étaler mon pagne pour le coucher dessus. Même après sa naissance, malgré les appels d'une autre femme qui souffrait dans les mêmes conditions que moi, les infirmières et sages-femmes n'ont pas daigné venir me voir. Ce n'est qu'en entendant les pleurs du bébé qu'elles sont finalement intervenues pour s'occuper de la suite.», a-t-elle relaté.

Les traumatismes que subissent les parturientes et leurs enfants en raison des dysfonctionnements hospitaliers, laissent parfois des séquelles durables. Les conséquences psychologiques et physiques des négligences médicales sont bien réelles, comme en témoigne l’histoire de Mounifa. Lors de son accouchement, le personnel médical est intervenu trop tard. Son bébé avait déjà inhalé le liquide amniotique, et depuis, son enfant souffre d’un rhume persistant qui résiste aux traitements. Mounifa soupçonne que cette inhalation soit à l'origine du mal et s'interroge alors sur le rôle de l’hôpital : « Si c’est pour accoucher seule, pourquoi suis-je allée à l’hôpital ? », s'est-elle demandée, déçue par la négligence et l'irresponsabilité du personnel soignant, qu’elle accuse de « jouer » avec la vie des patientes et de leurs enfants.

En plus de ces manquements, Mounifa dénonce l’insolence des sages-femmes envers les patientes, malheureusement à un moment où ces dernières ont besoin de plus d’affection et d’attention. « La conscience a quitté le CHU Sylvanus Olympio», a-t-elle déploré.

Ce témoignage n'est qu'un aperçu des problèmes sous-jacents. Les pratiques peu orthodoxes au sein de la maternité du CHU Sylvanus Olympio sont nombreuses et multiformes, marquées notamment par une corruption endémique. Les femmes y sont régulièrement victimes d'actes d'extorsion, en dehors de tout cadre légal. La césarienne représente une opportunité privilégiée pour le personnel soignant de commettre des abus et des détournements.

« L’expérience que j'ai vécue au CHU Sylvanus Olympio, c’était lors de la césarienne de ma femme. Une expérience un peu douloureuse, parce que les jeunes infirmiers étaient là seulement pour réclamer de l'argent ou voler des médicaments. », raconte un père de famille.

« Parce que dans le kit de césarienne, il y avait tout. On avait tout acheté. Après ils demandent des gants, alors qu'il y a ça dedans. Après ils viennent te dire qu'il y a tel produit il faut payer, et ils te disent en même temps qu'il y a le produit à leur niveau, qu'à la pharmacie c'est peut-être à 3 500 francs CFA (6 $ us), mais qu'ils vont te le laisser à 2 000 francs CFA (4 $ us). Toi-même tu vois la différence et tu te dis, qu'il vaut mieux l'acheter chez eux. Alors que c'est ton propre produit ils ont volé pour te revendre. Donc, à un moment j'étais vraiment fatigué. Le soir même de la césarienne, ils ont prescrit un autre produit qui est censé se trouver déjà dans le kit de césarienne. J'ai vérifié sur la liste des produits collés sur le kit, je me suis effectivement rendu compte que le produit y figurait. J'étais très fâché et j'ai menacé de faire un scandale si on n’injectait pas ce produit à ma femme. Prise de peur, elle lui injecta le produit sans prendre de l'argent. On n'avait dépensé plus de 100 000 francs CFA (182 $ US) ce jour-là. », a-t-il poursuivi.

Grâce à la subvention de l'État, le coût du kit de césarienne a été réduit à 10 000 francs CFA (19 $ US) depuis le 2 mai 2011, contre 80 565 francs CFA (145 $ US) auparavant, ce qui représente une prise en charge gratuite de 90 %. Cette décision, prise dans le cadre de la CARMA (Campagne pour l’accélération de la réduction de la mortalité maternelle, néonatale et infantile en Afrique), vise à réduire drastiquement la mortalité chez les mères et les enfants, conformément aux points 4 et 5 des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). Cependant, en raison des rackets et des vols, les patientes finissent par dépenser plus que le prix du kit sans la subvention. Ainsi, tous les efforts déployés pour atteindre ces objectifs sont réduits à néant.

Ces dysfonctionnements récurrents ont porté un coup sévère à la confiance des usagers, en particulier des femmes enceintes, envers les hôpitaux publics, et cela a considérablement impacté le taux de fréquentation, qui reste faible. Selon les données 2012 de la DISER, seulement 33 % de personnes se soigne dans une formation sanitaire publique, taux nettement inférieure à la norme nationale qui est de 80%. Par crainte de subir des extorsions et des mauvais traitements dans les hôpitaux officiels, de nombreuses futures mamans, qui n'ont pas les moyens de s'offrir les services d'une clinique privée, pourraient être tentées de se tourner vers des accoucheuses traditionnelles, exposant ainsi leurs santés et celles de leurs bébés à de graves risques, selon les explications du sociologue Gadiel Tsonyadzi : « Les femmes enceintes retournent déjà aux anciennes pratiques. Les anciennes pratiques c’est quoi ? On va chez une femme dans le quartier qui dit qu'elle a ouvert une salle d'accouchement. Et là il y a des drames qui se passent, on évacue vers le CHU, on voit que c'est déjà trop tard. Ou bien on reste à la maison, on ne va pas en consultation prénatale et des fois il y a certaines femmes qui font l'accouchement à domicile avec toutes les conséquences. Donc aujourd'hui, il n'y a pas de raison qu'on n’arrête pas ces dysfonctionnements au niveau des hôpitaux, afin que les femmes enceintes puissent venir dans ces hôpitaux qui sont des lieux professionnels où on va leur faire une prise en charge professionnelle, pour qu'à la fin, on puisse leur faire naître leurs enfants et qu'il y ait de la joie dans leurs familles.», a-t-il expliqué.

Dans un contexte où 27 % des accouchements ont lieu à domicile, plutôt que dans les formations sanitaires selon la EDST-III, le gouvernement a pris conscience de la nécessité de renforcer la protection maternelle et néonatale. C'est dans ce cadre qu'il a lancé en 2021, ‘’WEZOU'', un programme qui permet de prendre en charge une partie des frais de soins pour toutes les femmes enceintes, sans exception. En trois ans de mise en œuvre, WEZOU a touché environ 575 000 femmes. Mais, ce résultat ne suffira pas pour absorber tous les problèmes liés à la santé maternelle, néonatale et infantile, car les efforts consentis par le pays, sont entravés par plusieurs manquements.

Afin de revitaliser les hôpitaux publics, le gouvernement a opté pour une approche partenariale avec le secteur privé : La Contractualisation. Cette approche consiste à déléguer une partie de la gestion des établissements publics à des entreprises privées, dans le but d'optimiser les services offerts aux patients

La Contractualisation : Un bilan mitigé

La contractualisation a été lancée en juin 2017, à un moment où les dénonciations des usagers sur le mauvais fonctionnement des hôpitaux avaient atteint un niveau très critique. Les premiers établissements à expérimenter ce nouveau modèle de gestion ont été le Centre Hospitalier Régional (CHR) d'Atakpamé et le Centre Hospitalier Préfectoral (CHP) de Blitta. Le succès de cette phase pilote a rapidement conduit à une extension du dispositif à cinq autres centres en avril 2018, notamment le Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio de Lomé, le Centre Hospitalier Universitaire de Kara, les Centres Hospitaliers Régionaux de Sokodé et de Dapaong, et le Centre médico-social du canton de Siou, dans la préfecture de Doufelgou.

En présentant la vision du gouvernement derrière cette réforme, le ministre Midjiyawa s'est montré optimiste: « Si on veut résoudre le problème, il faut l'attaquer par la racine. C'est-à-dire la question de la gestion. C'est ce pourquoi le chef de l’État a dit, on va procéder par l'approche contractuelle. De quoi s'agit-il ? L'hôpital, c'est une propriété de l’État togolais, ça reste une propriété de l’État togolais, ça reste un service public. Mais nous allons identifier des sociétés spécialisées dans la gestion des hôpitaux, non seulement sur le plan théorique, mais sur le plan pratique. C'est-à-dire que ces sociétés ont fait leurs preuves ailleurs dans des conditions analogues aux nôtres. Et nous État, on signe un contrat avec elles, en leur disant, on vous délègue la gestion de l'hôpital, c'est-à-dire des hommes, des équipements et des ressources. Mais vous n'y injectez aucun franc. C’est l'Etat qui va s'occuper de tout ce qui est financement. Vous, votre seul rôle, c'est de nous assurer une gestion orthodoxe», a-t-il déclaré.

Les résultats de la contractualisation sont-ils positifs ou négatifs ? La question divise les acteurs de la santé. Après quatre années de mise en œuvre, les résultats sont loin de faire l'unanimité. Le collectif des syndicats de la santé du TOGO tirent la sonnette d'alarme sur une dégradation des conditions de travail et une baisse de la qualité des soins, contrairement aux attentes initiales du gouvernement. Pour Mohamed Atchadé, secrétaire général du syndicat du personnel de la santé du Togo, ‘’les résultats sont mitigés malgré l’important investissement fait au profit des structures contractantes pour accomplir les tâches des contrôles des régies des recettes, qui ne sont pas hors de portée des compétences nationales formées dans de prestigieuses écoles. Des dysfonctionnements et l’opacité dans la gestion de ces hôpitaux sont toujours en cours. La réponse de la tutelle semble se résumer à la dénonciation des pratiques peu orthodoxes des quelques agents véreux, avouant l’incompétence de l’administration à régler les dysfonctionnements constatés’’.

Alors que les syndicats, qui avaient demandé un audit externe dès 2021, dépeignent une situation alarmante, le ministre Moustapha Midjiyawa a présenté un bilan bien plus optimiste en 2023, s'appuyant sur des indicateurs tels que la fréquentation et la disponibilité des médicaments. Entre 2017 et 2022, le nombre de consultations et d'accouchements dans les hôpitaux concernés a bondi de 21%. Cette hausse est particulièrement marquée pour les consultations spécialisées, qui ont progressé de 66% dans certains établissements comme le CHR d'Atakpamé, le CHP de Blitta, le CHR de Sokodé, le CHU de Kara et le CHR de Dapaong. Le chiffre d'affaires a aussi explosé, avec une augmentation de 64%.

Le ministre de la santé s'est félicité de ces résultats éloquents, alors que les données de l'Afrobaromètre 2024 font apparaître une autre réalité. L’étude réalisée en 2023 révèle que 77 % des usagers se sont plaints de longs temps d’attente dans les hôpitaux, 71 % ont déploré l’état de délabrement des infrastructures, 68 % ont dénoncé la pénurie de médicaments et de matériel, et 54 % ont mentionné l’absence de médecins ou de personnel soignant.

Les résultats de la contractualisation ont été impactés par la pandémie de COVID-19. Présentée comme une solution pour améliorer la gestion des hôpitaux publics, cette approche n'a pas résisté à l'épreuve de la crise sanitaire. Les syndicats de la santé estiment que cette réforme, s'est révélée trop fragile pour garantir une réponse efficace face à une crise sanitaire majeure.

La Pandémie de COVID-19 : Un Révélateur de Faiblesses

La pandémie de Covid-19 a mis à nu les profondes failles d'un système de santé déjà fragilisé. La pénurie de respirateurs, de lits de réanimation et de matériel de protection individuelle a révélé l'incapacité des hôpitaux publics togolais à faire face à une crise sanitaire d'une telle ampleur. Les tensions entre le personnel soignant, réclamant des moyens supplémentaires, et les autorités sanitaires ont marqué cette période.

Manifestation des agents de santé devant les bureaux de la direction Génénale du CHU Sylvanus Olympio de Lomé

Cette crise inattendue a révélé non seulement les fragilités du système de santé togolais, mais aussi les failles de sa gouvernance. Pour une réponse efficace, un fonds de riposte et de solidarité COVID-19, d’un montant de 400 milliards de F CFA (727 272 727 dollars US), a été créé par le gouvernement par ordonnance n°2020-002 du 11 mai 2020. Ce fonds, mobilisable sur plusieurs années, couvre la riposte sanitaire, la résilience et la relance économique. En février 2023, un rapport d’audit sur la gestion de ce fonds a été publié par la Cour des comptes, révélant des irrégularités à différents niveaux de la chaîne de riposte. Ce scandale a suscité une vive réaction des organisations de la société civile, dont l’association Veille Économique qui a réagi vigoureusement en déposant une plainte pour fraude. Bien que cette plainte ait été classée sans suite, elle a contribué à faire pression sur les autorités. En réaction aux révélations de la Cour des comptes et au tollé qu’elles ont provoqué, l’Assemblée nationale a mis en place une commission d’enquête parlementaire. En novembre 2023, cette commission a entendu les principaux acteurs impliqués, à savoir les membres de la Cour des comptes et les ministres concernés, lors d'une session extraordinaire en présence des partenaires techniques et financiers.

«C’est un débat très contradictoire entre les 2 parties que nous avons écouté. La suite c’est que nous allons élaborer notre rapport qui va être présenté en plénière une prochaine fois. En ce moment, ce sera l’occasion pour l’Assemblée nationale de tirer des conclusions, de se faire une opinion à partir de tout ce qu’on a entendu des 2 parties », a promis Bernadette Leguezim-Balouki, présidente de la commission parlementaire.

Cependant, malgré cette audition des parties concernées, aucune conclusion n’a été présentée avant la fin de la législature, laissant planer des doutes sur la suite de cette affaire.

Aujourd’hui, alors que les Togolais s'interrogent sur le sort de cette enquête, le pays s’engage dans un nouveau chantier ambitieux : l'Assurance Maladie Universelle (AMU). Un projet nécessitant une gestion rigoureuse et des ressources considérables, sur lequel repose désormais l'espoir d'un renouveau du secteur de la santé.

Assurance maladie universelle : un tournant pour le système de santé togolais ?

Face à une couverture sociale limitée à moins d'un quart de la population, l'Assurance Maladie Universelle (AMU) apparaît comme une réponse majeure aux défis sanitaires du Togo. En vigueur depuis janvier 2024, cette réforme vise à corriger les dysfonctionnements du système de santé en élargissant la couverture maladie et en facilitant l'accès aux soins pour un plus grand nombre de citoyens. Le gouvernement espère ainsi atteindre la couverture universelle grâce à des partenariats, notamment avec la Banque mondiale.

L'AMU prévoit à cet effet, la modernisation des infrastructures sanitaires. À ce jour, 86 nouvelles formations médicales ont été créées et 60 autres rénovées. Le projet SSEQCU (Services de Santé Essentiels de Qualité pour une Couverture Sanitaire Universelle) a permis de livrer 47 unités de soins périphériques, pour un investissement de plus de 40 milliards de francs CFA. Des projets ambitieux, tels que la construction de centres spécialisés, comme les hôpitaux mère-enfant, font partie des réformes. 

Pour pallier le manque d'équipements, le gouvernement, avec le soutien de ses partenaires, a investi dans des matériels médicaux modernes. Le 1er août 2024, un lot de matériel d'environ 20 milliards de F CFA (36 363 636 dollars us), financé par la Banque mondiale, a été réceptionné. 

Le ministre de la santé, Moustapha Midjiyawa recevant un matériel médical des mains de Fily Sissoko, représentant-résident de la Banque Mondiale

Ce lot comprend des lits d'hospitalisation, des appareils de radiodiagnostic, des ambulances médicalisées, du matériel informatique, entre autres, acquis dans le cadre des projets REPSRU (Renforcement de l’Etat de Préparation des Systèmes de Riposte d’Urgence) et SSEQCU.

Sur le front des ressources humaines, Environ 2 000 professionnels de santé ont été recrutés en 2024, renforçant ainsi les effectifs des hôpitaux publics. 

Toutefois, malgré ces efforts, le système de santé togolais reste à un tournant critique. Les carences structurelles et la corruption endémique continuent d'affaiblir la qualité des soins et la confiance des patients. Les réformes en cours, bien qu'encourageantes, devront être suivies de mesures concrètes pour garantir des améliorations durables dans les infrastructures, le personnel et la gestion des services de santé.

Les réformes engagées par le gouvernement dans le cadre de l’Assurance Maladie Universelle offrent un espoir tangible à une population trop longtemps privée de soins de qualité. Si l’AMU pourrait renforcer la résilience du système de santé togolais en améliorant les infrastructures, l’effectif, la gestion des services et l’inclusion sociale, ces efforts risquent de s’avérer vains sans une prise de conscience des professionnels de santé quant à leur rôle et aux principes qui sous-tendent leur métier. La question de l'engagement des agents de santé reste cruciale : comment insuffler un sens du devoir dans les hôpitaux publics togolais ?

En attendant des réponses à cette problématique, qui touche à la fois à l’éthique et à l’esprit de service, le chemin de croix continue pour les patients togolais qui rêvent d'un système de santé à la hauteur de leurs attentes, à la fois efficace, équitable et humain.

Fousseni SAIBOU

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